Imaginez un instant un artiste qui aurait troqué le pinceau pour les gants de boxe, qui prendrait avec la rage d'un punk et la précision d'un poète. Voilà, vous y êtes.
Vous pensiez que l'art contemporain était réservé aux élites, aux initiés capables de déchiffrer le moindre gribouillis comme une métaphore de la condition humaine?
Né dans le Nord de l'Angleterre, à Hull, Culver n'a pas exactement suivi le parcours classique des enfants chéris de l'art contemporain.
Pas de diplôme en art, pas de vernissage entre initiés, mais une vie de labeur en usine et des nuits blanches à s'imprégner de la culture underground.
C'est dans les vapeurs d'after de raves berlinoise bien glauque comme on aime que Culver a eu son déclic artistique, en tombant nez à nez avec un bouquin de Nan Goldin*. L'art, pour lui, devient alors un exutoire, un moyen de canaliser cette énergie brute qui le consume.
Ca nous donne une approche pure, presque naïve et improvisée de la création.
Ses toiles ? Des champs de bataille où il affronte ses démons, où il dépeint sans filtre les hauts et les bas de sa vie. Prenez "Absent Fathers with Good Intentions", par exemple. C'est pas juste une toile, c'est un bout de son âme qu'il étale. Il travaille souvent sur de grandes toiles avec beaucoup d'espace vide. Dans cet espace, des images qui lui viennent dans sa vie quotidienne ou des bribes de conversation qu'il a entendues sont soudées à du texte.
Vous remarquerez que les phrases sont tantôt écrites à la main, tantôt dans des polices d'écriture très standardisées.
Dans le premier cas, il s'agit souvent d'un geste brusque, instinctif et presque violent ; l'acte de peindre devient alors une forme de chorégraphie où l'impulsion du geste, son intention, participe à l'aura du tableau.
C'est d'ailleurs une technique analogue à l'Action Painting initiée par Jackson Pollock * et l'Expressionnisme Abstrait* des années 50.
Dans le second cas, le choix de la typographie n'est probablement pas anodin, car on considère qu'une simple écriture peut évoquer un sens complètement différent selon la manière dont elle est présentée. La connotation fait appel à des références culturelles, une émotion, une histoire commune.
L'écriture en italique, par exemple, peut être vectrice d'un message plus ou moins volontaire de l'artiste. Si vous inclinez votre texte en diagonale, le cerveau suivra alors deux chemins et analysera deux significations :
- un texte qui monte symbolise l’effort, la progression, le chemin vers…
- Un texte qui descend sera plutôt interprété comme un “danger” ou un avertissement. Par exemple, un filigrane “confidentiel” ou “ne pas reproduire” sera plus percutant écrit en diagonale descendante. Bien sûr, la typographie est un vaste sujet, au même titre que celui de la signification des couleurs, et on n'est pas là pour vous faire un cours là-dessus (en tout cas, pas aujourd'hui).
Par exemple, une peinture représente un pigeon gris au centre d'une grande toile blanche. Le titre est 'ATHLETES of the day', et en dessous du pigeon se trouve la citation 'Un jour, elle n'est simplement jamais rentrée'. En tant que spectateur, on a presque l'impression d'être dans la pièce avec le voisin de M. Culver et ses pigeons de prix, obtenant un aperçu intime d'une vie très éloignée de celle de la plupart des gens.
Vous sentez la poésie ? la mélancolie?
Les titres sont importants pour M. Culver : il les décrit comme un point final après une phrase qui doit être là pour maintenir la peinture ensemble.
"Je n'étais ni musicien ni écrivain et j'avais besoin d'un moyen pour jeter toute cette émotion et cette tristesse refoulées", a-t-il confié au journal Mr. Porter.
L'art de Culver, c'est l'art de la survie, une lutte constante contre les démons intérieurs et les carcans sociaux.
"Je voulais peindre dans les zones grises de la culture anglaise. Les choses dont les gens ne veulent vraiment pas parler ou admettre...",
a-t-il déclaré à Abstractmag
Pour vraiment saisir l'art de Culver, faut se pencher sur ses œuvres et lire entre les lignes. Chaque phrase, chaque image est un indice, un morceau du puzzle.
Comme un DJ qui sample des morceaux de vie pour composer un nouveau track, Culver mixe ses souvenirs, ses galères et ses espoirs déchus pour créer quelque chose de neuf, de brut, de vrai.
Alors, comment on analyse ça ? On se plante devant, on laisse tomber les barrières. On oublie les "doit-on" et les "peut-être que". On regarde le pigeon, on lit la légende, et on se laisse porter par l'histoire qu'elle nous raconte.
C'est pas de l'art pour l'art, c'est de l'art qui vit, qui respire, qui parle.
En somme, Richie Culver, c'est l'artiste qui vous prend par les épaules et vous secoue jusqu'à ce que vous voyiez le monde à travers ses yeux. Au final, l'art de Culver, c'est un poing levé contre l'indifférence, un hymne à la résilience humaine.C'est une réflexion sur l'impermanence, sur la fragilité des liens humains à l'ère du numérique. Ses œuvres sont des miroirs de notre société, reflets d'une réalité où l'authenticité se perd dans les méandres des écrans et des faux-semblants.