On vous prévient aujourd'hui on est d'humeur à parler philo ...
Notre relation avec le tissu est viscérale et primitive : nous sommes enveloppés dedans dès la naissance et, à part l'étreinte d'un soignant, le tissu est notre première expérience du toucher et du confort.
Être couvert, c'est se sentir réconforté, protégé et caché. Nous utilisons le tissu pour dissimuler, mais aussi pour exprimer sélectivement notre identité, en fonction de notre perception de nous-même et de la manière dont nous souhaitons être perçus par les autres.
Dans sa série "Dirty Laundry", l'artiste Shawn Huckins recouvre le visage de ses sujets (issus de portraits traditionnels américains) de tissus contemporains.
Les tissus sont donc complètement anachroniques,
comme si les différents personnages étaient contraints de porter un masque qui ne leur appartient pas.
Le spectateur n'obtient que peu d'indices sur les personnages, si ce n’est quelquefois une main exposée, un bijou ou un animal de compagnie, tous des détails superficiels choisis pour être révélés.
Autrement dit, on ne nous montre que ce qu’on veut bien nous montrer.
Les seules conclusions que nous, spectateurs, pouvons tirer, sont celles que l’auteur a bien voulu nous souffler.
Les sujets sont alors presque anonymisés, on ne peut déduire aucune émotion du personnage, même pas en supposer, comme pour caricaturer une fausse pudeur où même une once d’intimité serait alors indécente.
Le personnage devient alors une simple façade.
Il est vidé de lui-même et ne peut montrer au monde qu’une version de lui travestie de vêtements qui ne sont pas les siens.
La série "Dirty Laundry" de Shawn Huckins nous offre une réflexion profonde sur la dichotomie entre l'identité individuelle et le masque social que nous portons, une thématique qui trouve un écho particulier dans la philosophie contemporaine, notamment dans les travaux de Goffman avec sa théorie de la mise en scène de soi dans la vie quotidienne.
On avait prévenu que ça allait parler philo ...
Le recours aux tissus anachroniques pour masquer les visages des sujets renvoie à la notion d'identité fragmentée. Huckins, en choisissant de dissimuler les traits essentiels de l'identité, questionne la vérité de l'être derrière le paraître.
"L’existence précède l’essence",
une phrase qui a donné de l'eczéma à beaucoup d’entre nous au bac philo, est ici habilement illustrée : nous sommes constamment en quête de nous-mêmes à travers les rôles que nous jouons et c'est dans le regard de l'autre que nous cherchons une reconnaissance de notre identité, souvent au prix de l'authenticité.
Ça ne vous rappelle pas un questionnement très actuel sur les réseaux sociaux et le pseudo voyeurisme complètement biaisé par les corps retouchés d’Instagram, les couples parfaits d’influenceurs ?
Ici, le spectateur est invité à spéculer sur ce qui est caché, et ça renvoie aux réflexions de Foucault sur la société de surveillance, où le pouvoir s'exerce non pas par la force, mais par un contrôle subtil et omniprésent, un peu comme les réseaux sociaux aujourd'hui, où l'on choisit soigneusement quel aspect de notre vie partager, créant ainsi une version idéalisée de nous-mêmes.
En somme, "Dirty Laundry" de Huckins se fait l'écho des questionnements philosophiques sur l'identité, la performance sociale et la nature de l'authenticité dans un monde où le paraître prend souvent le pas sur l'être, nous invitant à une introspection sur notre propre masque social et sur ce qui, dans notre culture, mérite d'être véritablement admiré.
On vous invite vivement à aller checker le reste du travail de Shawn. Et si vous êtes intéressé pour l'acquisition d'une de ses oeuvres, n'hésitez pas à nous contacter, nous nous feront un plaisir de vous conseiller (en plus on est grave sympa).